Le passage de la personne à l’impersonnel

Simone Weil, alchimiste de l’âme. Ou comment changer le plomb en or. Comment passer d’une âme à l’autre ? Chaque être humain a deux âmes. L’une qu’il ne connaît pas est située au centre de lui-même. Pour la rencontrer, il lui faut sortir de soi. L’autre est celle qu’il sent et pense comme la sienne. La condition humaine est dans cette schizophrénie de l’âme coupée en deux.

La partie que l’homme ne connaît pas est celle qui la relie à Dieu qui est, en elle, l’or du bien pur, impersonnel. L’autre est mélange de bien et de mai, elle n’a pas de réalité, mais elle existe[1]. Faite de tous les mensonges, gonflée de prestige et d’apparences, constituée de toutes les particularités physiques, psychologiques, sociales, elle peut être considérée comme la personne humaine. Ainsi y a-t-il dès le commencement erreur sur la personne. L:homme s’arroge une fausse identité, il se prend pour ce qu’il n’est pas, et il y tient autant qu’à la vie.[2]

L’aventure spirituelle s’annonce décidément contre-nature, il y faudra se changer l’âme, et passer de l’état de la personne que je crois être à l’état impersonnel où le Je n’étant plus rien, non seulement je n’ai plus rien, mais je ne suis plus rien.

La remise en ordre qu’opère Simone Weil est radicale. La ligne de partage de l’homme ne se fait nullement dans la cohabitation de l’âme et du corps, mais entre l’âme et le corps. Car nous avons vraiment deux âmes, et seulement deux. Ou, plus exactement, l’âme est coupée en deux parties tout à fait inégales. L’une est infinitésimale, l’autre est grosse de tout le reste. On pourrait penser que l’expression si fréquente chez Simone Weil des parties de l’âme lui vient tout droit de Platon qu’elle reconnaît comme authentique maître spirituel. Mais cette partition plurielle si souvent évoquée n’est jamais en fait qu’une bipartition. À lire tous les textes, et ils sont nombreux, où Simone Weil parle des parties de l’âme, elle ne fait toujours mention que de deux. La partie médiocre est celle qui veut vivre à tout prix et qui craint sa mort spirituelle « d’une criante plus violente que celle causée par l’approche de la mort charnelle ». (Attente de Dieu, p. 191). L’autre partie est, d’une certaine façon, celle qui ne me concerne plus, elle est celle qui est faite pour Dieu.[3]

Les deux âmes

Ainsi, il y a en l’homme une âme à laquelle il identifie sa personne, et ce bien impersonnel qui habite au centre de l’être humain, corps et âme à la fois.

Qu’est-ce qui coupe l’âme en deux ? C’est le glaive de Dieu lui-même. « La présence de Dieu coupe l’âme en deux, le bien d’un côté, le mal de l’autre. C’est un glaive. Rien d’autre n’opère cet effet. » (CS, 267)

Mais ici-bas, Dieu est radicalement absent. Le monde est une réalité séparée, autonome et neutre, et l’ordre qui est le sien est celui de l’absolue nécessité. Dieu n’est nulle part en ce monde ; son amour même est cette absence et cependant Dieu est au centre de moi-même. Dieu est en moi le hors de moi. Le moi ne peut rejoindre le centre où il est. « Comment aller vers moi ? Chaque pas que je fais me mène hors de moi. C’est pourquoi on ne peut chercher Dieu. Le seul procédé, c’est la renonciation totale à être quelqu’un, le consentement complet à être seulement quelque chose. » (CS, 223)

Le moi ne peut donc ni se rencontrer lui-même, ni chercher Dieu, car tout ce qu’il trouvera ici-bas, en ce monde, n’est pas Dieu. La volonté est hors leu. Jamais la volonté ne permettra de sortir de soi. Plus on veut, plus on est soi. Reste à désirer n’être plus rien, en se détachant de tout, en prenant modèle sur la matière. Simone Weil formule ici les lois de la « mécanique spirituelle » (CS, 253). Il n’est plus question que de matière ni de mathématique. Par son entière passivité, sa pure obéissance à la volonté de Dieu, la matière peut être proposée « comme modèle d’obéissance. » (AD, 134) « Passage à la limite. Nous concevons la limite par une opération analogue à la mathématique. Puis certains y passent réellement » (Cahiers II,Plon, 1953, p. 177).

Cette incroyable situation spirituelle, ce choix de devoir n’être plus rien, sans pouvoir le vouloir, et pour trouver Dieu qui n’est nulle part est, en réalité, imposé à l’expérience humaine par le malheur.

Le malheur est ce moyen radical par lequel l’être humain perd son statut de personne, doit traverser toutes les morts – physique, sociale, spirituelle -, et se trouve réduit malgré lui, a exister encore sans n’être plus rien. Le malheur a, pour ceux qu’il frappe, la même indifférence aveugle que l’indifférence divine pour les justes ou les injustes sur lesquels il fait briller le soleil. Il a cet effet de dépersonnalisation qui est la condition d’accès au surnaturel puisqu’il métamorphose l’homme en chose.

Mais c’est cela même qui est vécu, pensé et senti comme suprême horreur infligée par le malheur que Simone Weil indique comme la condition du passage à l’impersonnel, comme la transmutation d’une âme à l’autre, par la grâce du consentement.

Il y a un véritable souci pédagogique de préparation au malheur suspendu au-dessus de tous en ces temps extrêmes. L’apprentissage va exiger une totale déstructuration de la sensibilité humaine. Comment devenir chose quand l’homme aspire de toute la force de ses illusions vitales à être quelqu’un ?

Devenir chose sans l’avoir voulu est la définition même du pire malheur. Le malheur n’implique pas seulement la souffrance physique, mais une si complète humiliation que le malheureux en est rendu absolument transparent, ce qui veut dire qu’il ne peut plus être perçu par les autres qui ne le voient pas autrement que comme une chose inerte. Le malheur fait passer vivant par son propre anéantissement,

La tension du désir

Tout l’apprentissage spirituel consistera dans une torsion du désir pour pouvoir consentir à n’être que chose. La seule façon pour l’homme depuis son enfance de pouvoir exister, c’est d’être aimé. La perte d’amour est l’épreuve du néant, épreuve si douloureuse qu’elle fait pousser le cri de la suprême détresse.

Depuis son apparition dans l’existence, la vie de l’homme est scandée par les signes de l’amour. L’importance accordée par Simone Weil à l’état d’enfance, à la relation d’amour de l’enfant à sa mère n’a pas été soulignée. La frustration ne concerne pas les objets en tant que simple satisfaction du besoin vital de l’enfant mais comme les signes d’amour. Le cri de détresse de l’enfant vient de ce que son mal physique est ressenti comme un mal qu’on lui fait, comme un signe de désamour. Dès l’enfance, l’homme est dans une demande inconditionnelle et indéfinie d’amour. Ce qui déchire l’âme du malheureux, ce n’est pas la douleur éprouvée dans son corps, c’est la pensée qu’on lui fait du mal.

Le cri du fond de l’âme n’est ni revendicatif, ni protestataire, il n’est pas personnel. Ce cri du fond de l’âme ne dénonce pas une atteinte à la personne humaine, mais ce qui, en l’homme, est impersonnel. Depuis sa naissance, l’être humain est d’une sensibilité telle qu’il s’attend toujours à du bien, à ce qu y on lui fasse du bien. Cette partie de l’âme, cette part d »enfance, n’est pas personnelle. « Dans toute âme humaine monte continuellement la demande qu’il ne lui soit pas fait de mal. Le texte du Pater adresse cette demande à Dieu » (EL, 38). Le Christ lui-même a poussé un cri de détresse dans son abandon sur la Croix.

Mais les cris du malheureux ne peuvent pas être entendus. Le malheur qui rend transparent empêche d’être vu et entendu, il est une privation complète de toute possibilité d’être aimé puisqu’il réduit à rien.

Le Christ est celui qui montre la voie. Lui-même ne s’est pas fait homme mais, par la passion, il s’est fait chose. Son amour pour les hommes les incite à cette même transmutation. « Il nous persuade que nous sommes quelqu’un et nous permet ainsi de désirer être seulement quelque chose comme lui » (CS, 223).

Être quelqu’un n’est que le passage obligé pour consentir volontairement à n’être plus personne. À tel point que le miracle de la charité qui fait aimer celui qui a été frappé malgré lui par le malheur, est de lui permettre par la grâce de l’amour « de redevenir quelqu’un, ne fût-ce que quelques instants, et avoir ainsi une chance, fût-elle minime, de gagner l’éternité en consentant à retomber à l’état de chose » (CS, ibid.).

Une purification radicale

Si la spiritualité weilienne est d’une exigence extrême, c’est que la purification radicale qu’elle envisage est une terrifiante mise à nu du psychisme humain. Simone Weil n’invite nullement à une élucidation de l’inconscient par un difficile travail d’interprétation des phantasmes. Aucune place n’est laissée à la vie phantasmique, à l’imagination. C’est la philosophie et la mystique la moins idolâtre qui soit. Pour cette accession à un désir absolument purifié de tout imaginaire, une transformation complète de l’affectivité, de la sensibilité humaine, doit être effectuée.

Car l’amour humain est naturellement avide de chair et de sang. Il est nécessaire de passer du cannibalisme et du vampirisme naturels à l’amour impersonnel. Seul le lien pur échappe à toute relation particulière. « Les affections humaines sont des goules. Nous aimons quelqu’un c’est-à-dire que nous aimons boire son sang » (CS, 250). « Nous n’aimons pas un être humain comme une faim mais comme une nourriture. Nous aimons en cannibales» (CS, 249). « Amour d’anthropophages » (CS, 250).

L’âme a faim. Seul le bien pur, c’est-à-dire Dieu, peut rassasier cette faim. « Mais la substance de Dieu, au moins au début, ne nourrit qu’un point de l’âme placé tellement au centre que nous ignorons qu’il existe. Le reste de l’âme a faim et voudrait bien manger l’homme » (CS, 251).

Il faut donc affamer l’âme et renoncer à toute nourriture. C’est plus qu’un changement de régime, c’est affamer l’âme jusqu’à la mort, c’est accepter de mourir de faim, puisque ce point central de l’âme que Dieu seul nourrit n »est pas senti, n’est pas connu. « On ne peut aimer purement que si on a renoncé à vivre […]. Car la mort seule nous apprend ce que nous sommes, c’est-à-dire que nous n’existons pas, sinon comme une chose parmi beaucoup d’autres » (CS, 250).

Mais cette terrible ascèse ne prive que de l’imaginaire ; elle ne fait qu’araser nos phantasmes puisque cette acceptation de la mort fait apparaître la réalité. C’est que le sujet tout entier n’est qu’un leurre dérisoire qui nous attache de toute notre énergie à ce qui n’est que mensonge. Le Je est constitué par une image, par de l’imaginaire. Cette absolue dénudation, cette mise à mort spirituelle fera passer de l’autre côté. C’est la condition du passage dans la vérité de l’impersonnel, «passer par son propre anéantissement » (CS, 34).

Mais c’est un échange où tout est à gagner, puisque « Dieu m’a créée comme du non-être qui a l’air d’exister afin qu’en renonçant par amour à cette existence apparente, la plénitude de l’être m’anéantisse » (CS, 42). Cependant, tout en moi, ou presque, s’arc-boute, résiste de toutes ses forces à la perte de ses illusions vitales, et toute ma sensibilité est horrifiée par cette mort spirituelle autant que le corps par la mort charnelle. La répulsion est instinctive, animale. Ce sera un long apprentissage de désolidarisation affective, de désensibilisation progressive. Il y faudra « perdre nos sentiments propres » (AD, 139) pour laisser passage à un amour qui ne nous concerne plus vraiment car, notre âme ainsi consumée, réduite à rien, se niant elle-même, n’est plus que traversée par l’amour de Dieu pour lui-même, ne rencontrant plus le mi, la personne, pour faire écran. « Notre moi disparaissant doit devenir un trou à travers lequel Dieu et la création se regardent » (CS, 232).

Pour Simone Weil, la personne n’est pas à épanouir, ce ne sont pas ses droits qui sont à protéger. Tout entière faite d’apparences, de prestiges, elle est à tuer. Mais c’est que la personne humaine n’est pas ce qui est sacré en l’homme. C’est l’homme tout entier qui est sacré, non sa personne. Respecter en l’homme la personne est une idéologie qui peut rendre possibles les pires exactions. « Si la personne humaine était (dans ce quelconque passant aux yeux bleus) ce qu’il y a de sacré pour moi, je pourrais facilement lui crever les veux. Une fois aveugle, il sera une personne exactement comme avant. Je n’aurai pas du tout touché à la personne humains en lui. Je n’aurai détruit que ses yeux » (EL, 12). Ce qui est sacré en l’homme « c’est lui tout entier. Les bras, les yeux, les pensées, tout » (ibid.).

Comme nous le disions, la ligne de partage ne sépare pas le corps de l’âme, sinon pour fabriquer cette notion de personne impossible à définir, impossible à penser. Pour ce chemin vers l’impersonnel, le corps est sacré. Dans ce conflit d’âme à âme, c’est lui qui accomplira les actes réels. Il est le médiateur indispensable, la balance, l’arbitre entre la partie de l’âme qui désire la présence de Dieu et celle qui en a horreur dans sa peur panique d’être détruite, « car la partie médiocre de nous-mêmes ne craint pas la fatigue et la souffrance, elle craint d’être tuée » (AD, 193).

La souffrance du corps est inséparable du malheur, mais elle ne le constitue pas. Elle est seulement le critère de la réalité du malheur, car elle contraint l’âme à admettre ce qu’elle cherche à fuir par tous les moyens. Elle supprime tout échappatoire, forçant à considérer ce mécanisme aveugle, plus horrible que la mort car il signifie qu’ «il n’y a rien à aimer » (AD, 127).

Le piège social

Reste le pire des pièges, celui qui peut donner l’illusion complète de l’accès à l’impersonnel, parce qu’il en est le double diabolique, le simulacre parfait, où le rêve d’une âme enfin réunifiée, apaisée, semble réalisé. « Ce piège des pièges presque inévitable est le piège social. Partout, toujours, en toute chose, le sentiment social procure une imitation parfaite de la foi, c’est-à-dire parfaitement trompeuse. Cette imitation a le grand avantage de contenter toutes les parties de l’âme.[4]

« Celle qui désire le bien croit être nourrie. Celle qui est médiocre n’est pas blessée par la lumière. Elle est tout à fait à l’aise. Ainsi, tout le monde est d’accord. L’âme est dans la paix» (AD, 197). Mais le Christ n’est pas venu apporter la paix dans l’unité de l’âme. Son glaive la coupe en deux.

Le danger social est le risque majeur de perdition, par la confusion possible entre le collectif et l’impersonnel que Simone Weil dénonce avec véhémence. « Il n’y a pas de passage du collectif à l’impersonnel. » (EL, 18). Le collectif est une parodie, une fausse imitation du sacré. Les personnalités sont bien dissoutes dans la collectivité. Pour devenir membres d’un groupe, elles perdent toute possibilité de penser, mais acquièrent la griserie d’un pouvoir sans limites. Faire fi de tous les obstacles matériels et humains, c’est l’ivresse suprême d’un culte idolâtre. C’est le mal absolu.

La tentation de dissoudre la personne dans le collectif est celle de se noyer corps et âme. C’est abandonner l’état de personne par en bas. Seul l’accès à l’impersonnel permet à l’être humain de n’être plus personne « en s’élevant au-dessus du personnel » (EL, 19), car si « le personnel est opposé à l’impersonnel, il y a passage de l’un à l’autre». Le collectif est donc le mal absolu, l’impersonnel, le bien pur.

La personne fait partie de cette région moyenne, celle qui ne peut se maintenir ; constituée d’éléments incompatibles, elle est vouée à disparaître. Mais elle peut être absorbée dans l’impersonnel ou noyée dans le collectif. Il n’y a pas de milieu, pas d’entre-deux. C’est une zone de pure médiocrité. Ceux qui choisissent l’épanouissement de la personne, ce n’est pas moindre mal, c’est la perte du sens du sacré.

Comment va s’accomplir le passage de la personne à l’impersonnel ? « Le passage à l’impersonnel ne s’opère que par une attention d’une qualité rare et qui n’est possible que dans la solitude. Non seulement la solitude de fait, mais la solitude morale » (EL, 17). Cette solitude morale exclut toute appartenance à une quelconque collectivité. Il reste que, même obtenue, cette solitude est toujours très fragile. « L’attention véritable est un état tellement difficile à l’homme que tout trouble personnel de la sensibilité suffit à y faire obstacle » (EL, 140). L’attention est l’exercice spirituel incomparable pour opérer la transmutation de la sensibilité, le transfert d’âme à âme par la médiation du corps. Cette attention pure, désintéressée, sans mobile, est du pur amour.

Si ce qui peut faire mal est d’attenter à l’impersonnel, ce qui peut faire le bien sera aussi l’impersonnel. Dans les œuvres les plus belles, l’artiste, le savant authentique, c’est-à-dire les génies de premier ordre, sont ceux qui ont rejoint l’anonymat. Conservé ou perdu, leur nom a disparu. Même conservé, car leur nom ne dit rien de leur personne, n’apprend rien d’anecdotique, rien de leur biographie. Le seul sacré en science, c’est la vérité ; en art, c’est la beauté, parfaitement impersonnelles.[5]

Artistes et savants sont ceux qui, loin d’épanouir leur personne, l’ont fait disparaître. Retournés à l’anonymat, ce sont des passeurs. Leur personne n’aura été que l’occasion du passage du sacré. Les médiateurs sont ceux qui suppriment l’entre-deux. Ce sont des êtres démoniques, ils sont passés de l’autre côté, et ne sont plus les auteurs de leurs pensées. Ce sont des médiums, traversés par des inspirations qui se déposent en eux. Ils ont alors la mission de faciliter le passage des autres de l’autre côté. Simone Weil use de plusieurs métaphores (le voile, le mur) pour désigner l’écran à traverser. Toujours est-il que « chacun de ceux qui ont pénétré dans le domaine de l’impersonnel y rencontre une responsabilité envers tous les êtres humains. Celle de protéger en eux, non la personne, mais tout ce que la personne recouvre de fragiles possibilités de passage dans l’impersonnel » (E, 20).

Simone Weil a eu cette vocation absolue de passeur d’âmes, aux prises avec ce sentiment d’« obligation de tout piétiner en soi-même plutôt que de souffrir un empêchement au passage, à travers soi, de la vérité. C’est cette obligation qui me force à écrire des choses que je sais n avoir pas, personnellement, le droit d’écrire » (EL, 202). « Mais j’ai en moi une espèce de certitude intérieure croissante qu’il se trouve en moi un dépôt d’or pur qui est à transmettre » (EL, 250).

Monique Broc-Lapeyre
Maître de conférences honoraire de philosophie
Université Pierre Mendès France, Grenoble

Monique.broc@wanadoo.fr

Cet article a été publié dans Simone Weil, le grand passage,  Albin Michel, Question de, 1994, et Albin Michel, poche, espaces libres, 2006


[1] « Réalité et existence font deux », Connaissance surnaturelle, éd.Gallimard, 1950, p 280.

[2] « Nous naissons et croissons dans le mensonge », Ecrits de Londres, éd.Gammilard, 1957, p. 202..

[3] «La partie charnelle de l’âme qui a besoin de choses variées, doit s’appliquer aux choses variées d’ici-bas. La partie fixe de l’âme, à travers ces choses variées, doit viser le lieu fixe où siège Dieu » (CS, 277).

[4] Bel exemple de ce que nous évoquions précédemment : toutes les parties de l’âme ne sont en réalité que deux.

[5] Dans un article récemment paru dans les Cahiers Simone Weil (tome 27, n°l, mars 1994, p. 19), intitulé : « Conseils à un artiste contemporain », Eva Zippel explicite combien la lecture de Simone Weil l’a profondément aidée dans son travail de sculpteur. En voici, bien à propos, un passage très suggestif : «L’art contemporain se sert de beaucoup de signes. Le non-figuratif est certainement une réaction contre les symboles usés par l’habitude qui voilent l’attention par une lecture trop facile. Il refuse l’illustration d’un sujet littéraire, il cherche à composer un ordre avec des couleurs et des formes. Il a des tendances qui, au contraire, essayent de brouiller un ordre établi. On ne cherche plus à créer de beaux objets mais à décréer l’objet familier. La démonstration de l’absurde présente un miroir à la société. On se révolte, on provoque ou on se retire en face du vide. Aujourd’hui tout est possible et tous les moyens sont permis.

Et quand il n’y a plus de résistance ni du côté du matériau, ni du métier, ni du sujet, l’art devient indifférent (ennuyeux). L’artiste doit se présenter en vedette pour intéresser son public.

Mais pour que l’art devienne un mouvement d’émancipation authentique, il doit obéir à la nécessité et passer à l’impersonnel qui, selon Simone Weil, dénonce l’œuvre de « premier ordre ».

Ceci n’est pas un acte de volonté. Elle ne revient toujours qu’aux vertus négatives : « Ne pas penser à… ». Elle ne dit pas ce qu’il faut faire. Elle pense que l’idée s’impose si on lui cède la place. Alors, il n’y aura plus qu’à faire le geste nécessaire, et le meilleur geste sera celui qu’on ne peut pas ne pas faire. »

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