« Ce qui m’intéresse le plus n’est pas du tout ce qui m’importe le plus » (OE, II, 1521).

Rien d’étonnant, de prime abord, dans cette confidence pour qui connaît la pensée valéryenne : distinction entre ce qui est l’objet d’une séduction, intérêt souvent ponctuel et, comme tel, susceptible de s’évanouir, et ce qui a fait l’objet de recherches constantes, « travail de Pénélope » (C, XII, 606) centré sur la volonté de comprendre ce qu’il en est du fonctionnement de l’esprit. Toutes les réflexions des Cahiers méditées aux premières heures du jour s’inscrivent dans le ce qui m’importe, puisque, Valéry l’a dit lui-même, ses Cahiers, « [son] Eckermann » (C, XXIX, 416), ont été considérés comme ce qu’il avait de plus précieux, donc ce qui lui importait le plus, le reste n’étant que déchets ; en eux, le travail d’une pensée en acte qui tantôt revient sur elle-même pour se creuser, souvent pour se répéter, quelquefois pour ouvrir de nouveaux chemins. A l’inverse, ce qui suscite l’intérêt, capable d’éveiller une attention spontanée, serait de l’ordre du divertissement, de la surprise – notion importante dans la terminologie valéryenne – Valéry la récuse comme perturbatrice, semblable à l’événement, « écume des choses » (C, VI, 756).

On aurait tort, bien qu’il s’agisse d’un plaidoyer pro domo, de trop souligner le « m’ », en pensant que nous avons affaire ici à un esprit excentrique, dont les goûts saugrenus appartiendraient à une singularité marginale. Car, pour originale que soit la pensée valéryenne dans les Cahiers – « Je me mire dans cette pensée du P. Hardouin (166) : « Croyez-vous que je me sois donné la peine de me lever tous les jours de ma vie à quatre heures du matin pour penser comme tout le monde ? » (OE, II, 1537) – et bien qu’elle se veuille « écriture pour soi seul » (C, XIX, 883), il nous semble que cette remarque vaut comme paradigme de toute démarche philosophique qui distingue l’essentiel de l’accessoire.

Toutefois l’emploi fort fréquent du verbe intéresser dans le langage courant en fait un vocabulaire vernaculaire, au point que Valéry lui-même, en bien des endroits, ne respecte pas la distinction entre ce qui lui importe et ce qui l’intéresse, expressions données alors comme synonymes. Quelques exemples : d’une part, cet aveu de jeunesse : « J’ai beau faire tout m’intéresse » (C, II, 95), d’autre part, cette prière, d’un homme désabusé : « Oraison. Faites, Seigneur, que ce que j’ai à faire m’intéresse » (C, XVII, 350). Entre ces deux références, une réflexion distinguant la pensée active, seule valable, et sa publication, plus suspecte : « L’être qui fait et trouve les choses vraiment intéressantes n’est pas l’être qui fait le livre et y met ces choses mais mêlées à d’autres, à des impuretés ». (C, IV, 285. Soulignons ici le mot « impuretés » sur lequel je reviendrai). Dans une autre occurrence, sera spécifié par un adverbe le mot intérêt : « La caractéristique de l’homme est de s’intéresser à ce qui ne le regarde pas ; au point qu’il finit par ne plus distinguer ou ne plus savoir ce qui l’intéresse vitalement » (C, IV, 242) ; piège du langage où se prend celui-là même qui accuse les philosophes de ne pas avoir suffisamment défini les concepts qu’ils emploient. Mais l’écriture pour soi seul, au fil de la plume, des Cahiers pourrait excuser ces glissements. Peut-être cependant s’agit-il d’autre chose que d’un simple flottement de mots : d’une ambiguïté située au cœur même du concept d’intérêt, ambiguïté qu’un philosophe, précisément, Bergson, a dénoncée (cf. Les deux sources de la morale et de la religion, PUF, 1942, p. 42).

On retrouverait, toutes choses égales par ailleurs, la même équivoque dans la notion de curiosité, qui pourrait être appréhendée tantôt comme l’intérêt pour ce qui ne nous regarde pas, tantôt comme cet intérêt vital, ce soin (curiosus vient de cura = soin), ce souci pour ce qui est essentiel. Qu’en son premier sens, la curiosité, « cette aptitude [de l’homme] à s’inquiéter de ce qui ne le regarde pas » (C, VI, 88), ce goût du pittoresque, cet attrait pour le détail piquant ou insignifiant, l’heure à laquelle la marquise sortit, importe peu à Valéry, on ne s’en étonnera guère. En revanche, on aurait pu penser que Valéry aurait récusé le terme quand il s’agit de ce qui importe. Qu’on se détrompe : éveiller la curiosité devrait être un des ressorts essentiels de tout enseignement, le moteur de tout apprentissage, de la Maternelle au Supérieur : dès « l’âge des pourquoi », on souhaiterait qu’elle soit ce qui ouvre aux possibles (cf. C, XV, 570) ; entre six et dix-huit ans qu’elle crée l’appétit (C, XXIV, 197) ; enfin, à l’Université, il faudrait faire en sorte que « l’intérêt, le plaisir, l’appétit et le jeu [ne] restent [pas] choses purement verbales » (cf. C, XIV, 14), au lieu qu’à tous les niveaux suinte cet ennui qui invalide l’enseignement reçu.

Ainsi, partis de la séparation que Valéry établit entre ce qui importe et ce qui intéresse, nous avons vu que l’ambivalence des mots, intérêt, intéresser, était telle qu’on ne pouvait fonder sur elle une véritable opposition.

Il n’en demeure pas moins que si les signifiants sont flottants, les signifiés ne le sont guère. Et nous comprenons aisément le sens de la phrase valéryenne. Ce qui nous intéresse déporte hors de soi, séduction semblable à celle du serpent que la Parque saura repousser : « Ma surprise s’abrège et mes yeux sont ouverts » (vers 63), ouverts sur une recherche, dont l’aridité est grande et qui, par ses exigences extrêmes et les sacrifices demandés, ne pouvait que stimuler Valéry.

Assurément la connaissance de la pensée de Valéry favorise cette interprétation qui ne nous semble pas pouvoir être contestée. Toutefois la préséance accordée à « ce qui m’intéresse » (au début de la phrase) pourrait nous induire à lui accorder une positivité que nous avons trop peu envisagée. Dès lors la phrase s’entendrait comme une valorisation de l’intérêt au détriment de « ce qui importe » : refus donné à la curiosité, c’est-à-dire à toutes ces lectures, informations et discussions scientifiques dont Valéry s’est montré friand.

Il y aurait ainsi deux niveaux de la vie de l’esprit, d’une part, l’ouverture à tout ce que l’on peut glaner, absorber, d’autre part, une intégration au moi profond. Horizontalité des intérêts, verticalité de ce qui a valeur et seul mérite d’être approuvé. De même que l’on peut distinguer avec Michel-Ange, dans la sculpture, ce qui se fait « per via di porre » c’est-à-dire en ajoutant, en modelant, et ce que l’on obtient « per forza di levare », c’est-à-dire en enlevant du bloc de marbre tout le superflu, de même on pourrait distinguer ce qui enrichit la connaissance de données nouvelles et ce qui la dégraisse de tout l’inutile. Valéry, sans exclure la première, a fait choix de la seconde manière. Mais de ce choix il n’était pas libre, car il s’agit ici d’un parti pris éthique que la biographie pourra certes dater, mais sur lequel il sera constamment fait retour comme s’il n’était pas question d’oublier ce serment fait à soi-même, devenu constitutif de ce que l’on est au point que toute abjuration vaudrait effondrement. C’est dire qu’il n’y a pas d’échappatoire possible à cet impératif catégorique : ce qui m’importe ne doit pas être ce qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse est de l’ordre de l’impur, c’est-à-dire du trouble, du vague, de l’imprécis, mais aussi de l’adhérant, du poisseux, du sentimental. Ce qui m’importe est de l’ordre du net, du formel, du pur.

« La pureté est essentielle à ma pensée. Elle […] s’imposa comme attitude de défense générale contre sentiment et son obsession 91/92. » (C, XXII, 444).

Toute grande philosophie [est) confession de son auteur ».
Nietzsche, Par-delà bien et mal, Livre I, § 6.

« J’ai cherché sur toute chose pureté et précision – et pas un de ceux [sic] – qui ont écrit sur moi ne l’a dit quoique je l’aie dit moi-même – cent fois. » (C, XVI, 31). Le mot de pur, souvent accompagné d’un superlatif (si pur, très pur) ou exprimé, dans l’idiolecte valéryen, par cette injonction : « refaire en pur » (C, XVII, 371) est d’une extrême fréquence. Il est souvent graphiquement souligné par Valéry, écrit avec un « P » majuscule, témoignant d’une insistance particulière. Valéry parlera de purezza (C, XI, 460) renvoyant, à travers la langue de sa mère, à un écho intime, privilégié. Il y a là une idée chère (chair ?) qui fera dire à Valéry, pourtant peu porté à la confidence : « Je n’aime que la pureté. » (C, XXVIII, 87). Cet amour exclusif de la pureté ne pointe-t-il pas ce qui importe le plus ? Sans doute. C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire d’analyser cette idée, expurgée de tout intérêt.

Que faut-il entendre par là ? C’est avant tout, bien sûr, une exigence intellectuelle ; liée à l’idée et à la pratique d’une méthode, à laquelle Valéry n’a cessé d’identifier sa philosophie, donc ce qui lui importe. Cette méthode consiste essentiellement à séparer les éléments d’une structure finie, à dissocier les matériaux, à décomposer, à isoler les facteurs, à donner des contours délimités aux mots et aux choses : « Une seule chose importe – celle qui se dérobe, infiniment, indéfiniment, à l’analyse, – ce rien, ce reste, cette décimale extrême. Et c’est pourquoi il faut faire des analyses, et de plus en plus fines, serrées, subtiles, précises – insupportables » (C, V, 10). Nous sommes ici dans la continuité de la méthode cartésienne : « diviser chacune des difficultés […] en autant de parcelles […] qu’il serait requis pour les mieux résoudre » (Discours de la méthode, deuxième partie). Cette séparation est le préalable nécessaire à une saine recomposition, à une mise en ordre, à une combinatoire (cf. C, V, 156 ; OE, II, 41). Le modèle de référence ce sont les mathématiques, paradigme d’un langage homogène, négociable, échangeable. C’est un tel langage que Valéry a cherché toute sa vie, d’abord dans l’élaboration de ce qu’il a appelé son « système », effort pour donner une représentation de la vie mentale avec l’ensemble de ses relations, connexions, où ne devrait opérer que le langage de la rigueur (Ostinato rigore), du nécessaire et suffisant, auquel les philosophes jusqu’ici n’ont pas porté attention. (Sans doute Valéry aurait-il apprécié les recherches d’un Wittgenstein) ; ensuite, dans sa poésie : le mot pur est considéré par lui comme l’un des dix plus beaux mots de la langue française (avec jour, or, lac, pic, seul, onde, feuille, mouille, flûte) pour sa sonorité et peut-être moins pour son sens, indéfinissable (« Je ne sais quoi de pur » dit l’un des hémistiches de La Jeune Parque ) que pour ce qu’il faisait vibrer en lui et qui n’était pas de l’ordre de la nostalgie mais du désir.

Ce « Traité de la Pureté » (C, XI, 218) que Valéry a rêvé d’écrire mais qu’il n’écrira pas comme toutes ses œuvres réelles (C, XXV, 886), il nous en a laissé des fragments dans certains passages inscrits sous le sigle GL., c’est-à-dire Gladiator, du nom d’un célèbre cheval de course. Gladiator, c’est l’emblème de l’aisance, de l’élégance, obtenues par la possession complète de tous les mouvements devenus faciles grâce à l’effort, à la volonté tendue vers l’accomplissement d’un acte parfaitement maîtrisé, réalisé grâce à une économie maximale des moyens , une sorte d’épure. Valéry raconte dans Autour de Corot (OE, II, 1310) l’histoire d’un des premiers hommes de cheval qui fut jamais qui, « devenu vieux et pauvre, reçut du Second Empire une place d’écuyer à Saumure. Là, vint le visiter un jour son élève favori, jeune chef d’escadron et brillant cavalier. Baucher lui dit « Je vais monter un peu pour vous ». On le met à cheval ; il traverse au pas le manège ; revient… L’autre, ébloui, regarde s’avancer un Centaure parfait : « Voilà, lui dit le maître. Je ne fais pas d’esbroufe. Je suis au sommet de mon art : Marcher sans une faute. » Tel est ce qui importe et qui est forcément intéressant.

Ce qui est vrai de l’art équestre, l’est aussi de la gymnastique, du sport, de tous les arts en général. Prenons par exemple, la musique : la pureté, ce n’est pas Wagner, qui use de tous les moyens possibles pour produire des effets susceptibles de toucher, mais Bach et sa « miraculeuse Suite en Ré majeur » (C, XIV, 375) ; absolue rigueur des éléments, absolue perfection de la construction, aucun pathos : tout est gouverné (cf. C, XXIV, 175).

En revanche, chaque fois qu’il y a mélange, condescendance, compromission, vague, nous sommes dans l’impureté : impureté de l’Histoire qui ne repose que sur la Fiducia et que Valéry condamne précisément parce qu’elle est intéressante : « Intéressante », ce mot l’indique est ce qui nous fait vivre une vie autre que la nôtre. » (C, XXVI, 141). D’où la condamnation de Michelet, « le plus ridicule des écrivains » qui fait semblant de vivre l’histoire ! » (C, XII, 826). Impureté des religions qui s’abreuvent de choses obscures, mystères et miracles ; impureté de la philosophie, qui ne manie que des hypostases semblables à des idoles : « Qu’il s’agisse des Idées, de la Dunamis, de l’Etre, du Noumène, du Cogito ou du Moi, ce ne sont que des chiffres » (OE, I, 1264).

On aura compris combien cette exigence de pureté, ce « démon » qui le possède (C, XXV, 617) n’est que la conséquence d’une scotomisation vis-à-vis de tout ce qui fait obstacle à la rigueur, de tout ce qui vient gêner, de tout ce qui peut intéresser : le futile, le frivole, la passion, le sentiment, le vécu et son épaisseur, l’obscur ; l’anecdote, le roman, etc. : « les plus importantes pensées sont celles qui contredisent nos sentiments » (OE, II, 764).

Il y a une intransigeance cathare chez Valéry (cf. C, IX, 241), proche d’un terrorisme à la Robespierre auquel Valéry se compare d’ailleurs (C, XXI, 203).

Sous cette valorisation – toujours suspecte- n’est-ce pas ? – de la pureté va faire retour un refoulé qui fracasse violemment, tantôt se convertit en vibrations subtiles. La rencontre avec Catherine Pozzi, par exemple, sera ressentie comme cette irruption stupéfiante qui convertit ce qui ne pouvait être qu’intéressant en ce qui importera, un temps, plus que tout : « Si je me regarde historiquement, je trouve deux événements formidables dans ma vie secrète. Un coup d’état en 92 et quelque chose d’immense, d’illimité, d’incommensurable en 1920. J’ai lancé la foudre sur ce que j’étais en 92. 28 ans après, elle est tombée sur moi de tes lèvres » (C, VIII, 762). Cet ébranlement émotionnel de tout l’être que Valéry avait connu en 92 lors de la « Nuit de Gênes », cette obsession passionnelle contre laquelle il avait voulu définitivement se prémunir, voici qu’ils faisaient retour. Les défenses s’effondrent qui protégeaient ce qui importait. Bien plus tard, au terme de sa vie et non plus « In mezzo del cammin » (C, VIII, 751), Valéry reconnaîtra la victoire de celui qu’il avait voulu tenir en respect : « Je connais my heart aussi. Il triomphe. Plus fort que tout, que l’esprit […] Plus fort que le vouloir vivre et que le pouvoir de comprendre est donc ce sacré C – – « Cœur » – c’est mal nommé. Je voudrais au moins trouver le nom de ce terrible résonateur. Il y a quelque chose en l’être qui est créateur de valeurs et est tout puissant, irrationnel, inexplicable […]. Le cœur consiste à dépendre ! » (C, XXIX, 908-909). Je ne sais si quelqu’un a déjà fait remarquer dans ce texte, trop souvent cité, l’usage de la langue étrangère employée – comme souvent chez Valéry – pour masquer l’intime (gêne ou pudeur ?), et l’étrange emploi de la seule initiale « C », indicatrice d’un gros mot ( ?) : réminiscence d’un temps où l’échéance était plus lointaine et où le cœur apparaissait, comme en boucherie, un « bas morceau » (C, VIII, 564 ; voir aussi C, XXI, 471). Nouvelle considération de ce qui importe, déjà présente, – car la lucidité valéryenne n’est jamais en défaut – dans ce passage magnifique, intitulé « Station sur la terrasse » où Valéry fait, à 70 ans, le bilan en négatif, au sens de la théologie apophatique, de sa vie et de son œuvre et où il dira de sa quête qu’elle fut celle de « l’impossible pur… ! (C, XXV, 619).

On pourra m’objecter que la réserve soupçonneuse vis-à-vis de l’affect, comme ce qui nous intéresse et donc n’importe pas, ne peut être que partielle, quand on sait que son « système » est construit sur la relation tripartite corps-esprit-monde, que les réflexions sur l’éros occupent une grande place dans les Cahiers et qu’à aucun moment la pensée Valéryenne n’est coupable d’idéalisme. Je n’en disconviendrais pas. Mais si ces réflexions importent c’est qu’elles mettent en jeu notre esprit, qu’elles font partie d’un système de relations offert à la compréhension. Elles ne sont pas faites pour nous toucher, c’est-à-dire pour concerner ce que Valéry appelle la sensibilité générale (cf. C, XVII, 690).

Mais – et c’est là que se joue le destin de la poésie – à côté de cette sensibilité générale, il y a une sensibilité spéciale distante de toutes les adhérences de la vie sentimentale. En elle et dans le jeu de toutes les synesthésies, se tisse un réseau subtil de vibrations qui échangent leurs énergies. Cela l’opération de refoulement l’a laissé subsister, car il n’est pas intéressé au sens où un profit individuel pourrait en être tiré, puisqu’il n’est que résonance, sensation pure, impression fugace, odeur, couleur, forme, sonorité. C’est là que la poésie puise ses ressources, dans ce sensible qui nous révèle, à de rares moments, la densité de notre vie et qui seul, au fond, nous importe. Loin de toute anecdote et de toute curiosité, cette présence sensible est dépersonnalisation : mystique toute païenne où le mot d’intéressant se vide de tout sens.

Dès lors, c’est à une nouvelle approche de ce qui importe que nous sommes conviés. Non pas le raidissement arc-bouté de celui qui s’est défendu de toute agression mortifère, en faisant de sa sphère mentale un refuge imprenable, où l’ange lui-même devient la proie d’une infinie tristesse car, s’il connaît, il ne comprend pas (OE, I, 206). Ne reste plus alors – mais n’est-ce pas ce qui importe le plus ? – qu’à célébrer par le chant « l’air immense qui referme mon livre » (« Le Cimetière marin »), afin que seule subsiste « avant toutes choses [l’] invocation muette à ce qui va être » (C, VIII, 151).

Références bibliographiques

Valéry : C, I, 500 – C, XXIX, 500 – édition CNRS (fac-similé) ; CI, 155 (CI, CII, Cahiers 1894-1914, Gallimard.Veyne, Paul, Le quotidien et l’intéressant, Les Belles Lettres, 1995.
Sur la curiosité : voir Malebranche, Recherche de la vérité, livre IV, chap. 3 ; Nietzsche, Humain trop humain, I, 363.
Sur l’intérêt et le désintérêt, ces concepts qui jouent un rôle central en esthétique, voir Schopenhauer, « Sur l’intéressant » in Parerga et Palipomena ; Schlegel, Uber das Studium des griechischen Poesie ; Kierkegaard, Le journal d’un séducteur ; Nietzsche, Généalogie de la morale, III, § 6.
Concernant les débats contemporains sur la question, voir J. M. Schaeffer, Les Célibataires de l’art, Gallimard, 1996 ; Philosophie analytique et esthétique (textes rassemblés par D. Lories), Klincksieck, 1988 ; G. Genette, La relation esthétique, Seuil, 1997 ; D. Château, La question de la question de l’art, P.U. de Vincennes, 1994 ; voir Heidegger, Qu’appelle- t-on penser? p. 23; Deleuze, qu’est-ce que la philosophie ? p. 80.
Pietra, Régine, « Valéry, Wittgenstein et la philosophie », Recherches sur la philosophie et le langage, Université de Grenoble II, 1981, p. 57 à 81.

                                                                                                      Régine Pietra
Professeur honoraire de philosophie
Université Pierre Mendès France Grenoble

regine.pietra@wanadoo.fr

Article publié dans les « études valéryennes » éd. l’Harmattan, Université Paul Valéry – Montpellier, 96/97 : Paul Valéry, les philosophes, la philosophie ; textes recueillis et présentés par Anne Mairesse.

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