Nietzsche ne connaîtra Spinoza que par le livre de Kuno Fischer qu’il se fait envoyer sous l’emprise d’une soudaine inspiration, à Sils Maria en juillet 1881. Depuis lors, Spinoza représentera pour lui, la figure emblématique du philosophe. Bien mieux que Parménide et plus encore que Kant, ce sera la grande araignée philosophique. Et Nietzsche ne manquera pas de jouer sur le signifiant Spinoza-Spinne qui désigne l’araignée en langue allemande. Dans l’émotion immédiate de la découverte, il crie son ravissement. Nietzsche rencontre en Spinoza un autre lui-même. »Sa tendance générale » écrit-il à Overbeck, « est la même que la mienne : faire de la connaissance le plus puissant affect. »[1]. Ce solitaire voit sa solitude enfin partagée par un autre tout aussi solitaire. « En résumé, ma solitude qui, comme sur de très hautes montagnes me faisait souvent manquer d’air et affluer le sang, est au moins désormais une duellitude (Nietzsche fabrique le mot Zweisamkeit). Étonnant ! « [2]
Mais pour étudier Spinoza, Nietzsche à sa manière lui aussi connaisseur de lunettes, changera de verres. Après la découverte émerveillée de ce frère d’armes rencontré à la veille de la révélation de l’Eternel Retour et de Zarathoustra, Nietzsche dans Par-delà le Bien et le Mal, le vilipendera avec violence. A le voir de loin, il le croyait proche de lui jusqu’à en faire son double ; avec la loupe du myope, il discernera son masque de mort, cet insidieux empoisonnement de la vie qu’il faut soigneusement tenir aux antipodes.
Les premières réflexions de Nietzsche sur la connaissance humaine avaient été pour dénoncer un faux émerveillement pour ce qui constitue la trame même de notre acte de connaître : la rigueur mathématique, l’inviolabilité des représentations de l’espace et du temps. Pourquoi s’étonner de retrouver dans les choses, un ordre que nous sommes contraints de mettre « selon la même nécessité avec laquelle l’araignée tisse son fil.« [3]. Nietzsche en concluait déjà que nous en pourrions plutôt concevoir « une profonde méfiance envers tout idéalisme de ce genre.« [4]
Ce fragile tissu conceptuel que l’homme dévide de son cerveau, comme un voile posé sur le monde, est aussi le seul fil auquel se raccrocher. Et, quand une avancée dans la connaissance vient trouer le réseau, l’araignée laborieuse n’a de cesse de colmater la brèche et de ravauder les mailles filées des bas de l’esprit. Nietzsche en effet dans le chant qu’il consacre aux érudits dans le deuxième livre du Zarathoustra les compare à des araignées à l’affût, épiant ceux qui marchent mal, à demi-paralysés et préparant le poison, « ils sont habiles, ils ont les doigts experts. Leurs doigts s’entendent à toutes les façons d’enfiler, de nouer et de tisser les fils, ils tricotent les bas de l’esprit. »[5] Il est ainsi caractéristique que, très tôt, Nietzsche ait comparé l’activité conceptualisante à une opération instinctive et typiquement féminine, l’art du tissage.
Mais déjà à ce niveau, il y a une ambiguïté symptomatique dans le travail de l’araignée. L’homme-araignée a ce génie de l’architecture qui lui permet de construire sur des fondements mouvants, « […] à vrai dire pour trouver un point d’appui sur de telles fondations, il ne peut s’agir que d’une construction semblable aux toiles d’araignée, si fine qu’elle peut suivre le courant du flot qui l’emporte, si résistante qu’elle ne peut être dispersée au gré du vent.« [6] Ainsi le travail architectural de l’homme a-t-il ce génie de pouvoir, alors que tous les points d’appui lui font défaut, et qu’il est entraîné dans un flot ininterrompu d’impressions mouvantes, sortir de lui-même un réseau conceptuel arachnéen, assez souple pour s’adapter au flux des expériences. Et ce matériau fragile des concepts, Nietzsche dit alors que l’homme ne le fabrique qu’à partir de lui-même.
Dans la deuxième des Considérations inactuelles sur l’histoire, la même métaphore de l’activité arachnéenne sera très précisément utilisée en mauvaise part et dénoncée. L’homme moderne « cette grande araignée au nœud du filet universel« [7] Mais cette araignée-là détisse (zerspinnt), déchiquète (zerspillert), effiloche (zerfassert) dissolvant toute chose en un devenir fluide et fuyant. Avec tout ce qui a été, elle fait de l’histoire.
C’est qu’il y a une double manière de considérer l’opération conceptuelle. A un premier niveau, elle est constructive, elle donne à l’homme les repères nécessaires à sa survie, elle anthropomorphise le monde, le rendant avec sa diversité infinie semblable à l’homme. Elle effectue une certaine homogénéisation, une simplification par réduction, par identification. L’araignée connaissante fait en sorte que le monde soit lié à l’homme. Elle permet la familiarisation et de se repérer dans le labyrinthe sensoriel grâce au fil du langage.
Mais cette opération inconsciente de l’assimilation du monde à soi, l’homme l’oublie. Elle lui est devenue si naturelle que ce monde tel qu’il se l’est fabriqué et aménagé lui-même, il le prend pour le monde tel qu’il est vraiment en soi. Cet oubli est d’ailleurs vital, ce n’est que par l’exclusion de ce rapport esthétique au monde que l’homme peut s’y installer à demeure et en repos, dans une relative sécurité. L’homme a l’illusion que le monde parle sa langue maternelle, que ses mots disent ce que les choses sont.
D’autre part, et c’est alors le deuxième niveau, il n’arrête plus de refaire le monde après l’avoir fait à la mesure de sa vie. Non seulement il oublie sa première opération mais il en rajoute. Il n’en finit pas, après avoir donné une première représentation du monde, de la déjouer, de la rejouer, de la réinterpréter. Cette nécessité vitale, cette obligation de se nourrir des images vivantes pour ne laisser que les os, les squelettes des intuitions fugaces, autrement dit les concepts, de manger la chair des choses et d’en boire le sang pour n’en garder que la coque conceptuelle vide, cette activité du cerveau-animal pour édifier un monde apte à la survie de l’espèce humaine constitue l’étayage, au sens freudien, de pulsions de connaissance qui vont raffiner ce rapport premier au monde, le dévoyer en perversions vampirisantes.
Cet intellect-animal qui tient lieu de cornes, de griffes, de mâchoires, d’instrument de défense et de lutte, après avoir tiré du ventre du chaos pulsionnel, ce fil conceptuel pour permettre à l’homme d’être viable, va vider la réalité organique dont il s’est extrait, de toute substance, accaparer le haut commandement et faire main basse sur toute chose. L’ordre des choses sans lequel il ne saurait s’établir, la nécessité à laquelle il est soumis, il en fait des décisions voulues par lui souverainement.
Ce cerveau standardiste de toutes les informations et communications s’intronise auteur-créateur de tous les messages reçus. Cet agent de transmission prend le pouvoir et prétend légiférer. Lui qui était moyen pour des fins qui le dépassaient, met en place un système de finalité dont il est le maître suprême, l’inspirateur occulte. Ce monde inconnu dont il trace un schéma à sa portée, il le consacre monde vrai dont il reçoit les clefs d’un double mythique, d’un Dieu fait à l’image de l’homme pour en être le gérant sur terre.
Mais première victime de sa supercherie, la tête, l’ordre « capital » qui s’est exhaussé au rang suprême par délégation d’un pouvoir mythique, a rompu ses attaches primitives et les pulsions écartées, exclues, meurent de rire en entendant ce Dieu se déclarer unique et passent à l’opposition, au complot occulte. Rebelles muets, les instincts animaux dansent un sabbat du diable, emprisonnent le roi dans son palais dérisoire où il règne sur un peuple de fantômes. La tyrannie morale commence par l' »autotyrannie« . Et c’est bien ce que Socrate proposait aux Athéniens, d’être maîtres d’eux-mêmes.
Mais le juif Spinoza ne pouvait laisser perdre ce corps que le chrétien Descartes ne récupérait qu’in extremis. Descartes avait une idée trop grande pour être contenue dans sa petite tête. C’est là que sorti de la tête de Descartes, Dieu y revient comme son auteur. Les Juifs sont trop attachés à cette vie terrestre pour en laisser perdre le moindre morceau. Nietzsche n’a pas oublié le souci de Macchabée de récupérer ses entrailles lors de la résurrection des corps. Mais Spinoza est un Juif hérétique, il rompt avec le particularisme judaïque, il fait de la raison, une dimension universelle. Il rattrape l’ordre des choses et des corps évincé par la souveraineté de l’esprit (Deus sive Natura). Le Dieu de Spinoza récuse le partage spiritualiste. Ce n’est pas seulement une grosse tête, il a repris tout le réel. Nietzsche fouaille les entrailles du philosophe, en le traquant au détour de sa morale. C’est là qu’il débusque le vrai tempérament du philosophe : « En réalité, on fera bien (et sagement) pour expliquer comment les affirmations métaphysiques d’un philosophe sont venues au jour, de toujours commencer par demander à quelle morale veulent-elles (veut-il) conduire?« [8]
Nietzsche oblige les philosophes auxquels il s’intéresse le plus à rendre gorge. Un peu de courage, Messieurs les philosophes, dites ce qui vous fait peur. Car la morale n’est pour Nietzsche que compromis avec le danger qui menace de l’intérieur. Avant Wilhem Reich, Nietzsche avait découvert la cuirasse caractérologique, cette sorte de forteresse dressée contre les faiblesses de l’organisation psychique.
Dans un premier élan enthousiaste, Nietzsche avait reconnu en Spinoza, un double, un frère. Mais bien vite, il prend d’autant plus ses distances et il repère les énormes différences. De l’instinct de connaissance, Spinoza certes fait un « affect », mais les passions, Spinoza prétend les disséquer, les analyser pour mieux les éliminer. Et Nietzsche démasque une fois de plus, la pauvre astuce d’une vulnérabilité qui a conduit le mal-portant à se protéger de la tête de Méduse. « L’amour intellectuel de Dieu« , ce concept fait bondir Nietzsche car il maquille la suprême habileté de l’araignée. Spinoza, l’habile artisan, a masqué le travail philosophique opéré par les instincts primordiaux, il a recouvert « son système » d’une forme mathématique » afin de décourager d’avance le téméraire qui oserait lever le regard sur cette vierge inaccessible, Pallas Athénée« [9].
Mais Nietzsche, lui, ne peut plus se laisser prendre à ce jeu. Il reconnaît chez ces amoureux de « l’immaculée connaissance« , le travesti intellectuel. Sous la parure mathématique, sous la robe blanche de la rigueur abstraite, Nietzsche sait que se cachent « les démons ou farfadets » (ibid.). Le revêtement mathématique est le bouclier aveuglant de Pallas Athénée. Sous cette lumière éblouissante, comment oser penser que la force brillante de l’intelligence n’est pas issue de la tête du Dieu mais qu’elle n’est que le fantasme engendré par une autre terreur originaire, celle du philosophe aux prises avec la vie-femme, avec la révélation de la béance du sexe féminin. Le philosophe a pris alors les jambes à son cou, il a fui à l’écart, dans la plus extrême solitude. « Chevaliers de la triste figure, messieurs, gardiens des recoins et tisseurs des toiles d’araignée de l’esprit.« [10]. « Ces ermites par force finissent toujours par devenir, fût-ce sous le masque le plus spirituel et peut-être sans même le savoir, des vindicatifs et des empoisonneurs subtils (que l’on déterre une fois pour toutes le fondement de l’éthique et de la théologie de Spinoza) »(ibid.).
Jeter par-dessus le tourbillon des sens, un réseau de concepts exsangues, gris et glacés, ce fut déjà la méthode platonicienne. Mais c’était là encore manière aristocratique. Des sens vigoureux et forts, il s’agissait de se rendre maîtres. Il fallait trouver le moyen de déjouer les grossières évidences sensorielles, l’impérialisme de la physique du peuple, qui croit à ce qui se laisse voir et toucher et régner sur l’ordre métaphysique en s’emparant de la grammaire. Mais des siècles de christianisme ont désormais ruiné cette opposition aux sens par volonté de maîtrise. Certes le philosophe ne peut combattre que pour une « vérité » intellectuelle. Mais sa croisade est perdue d’avance. Cette sainteté-là ne le mènera qu’à un pitoyable martyre. La mort d’un philosophe déjà exsangue ne peut plus être une tragédie, seulement une farce sinistre qui ne fait même plus envie à de cruels bourreaux.
Quel que soit son courage de libre esprit, Spinoza a plus aimé sa sagesse que la vie, il a filé le cocon protecteur de la morale, il a préconisé « le ne-plus-rire et le ne-plus-pleurer« [11], il a pactisé avec le souci de faire le bonheur de l’individu, proposé ses « recettes » contre les passions, ses « artifices qui sentent les vieux remèdes domestiques et la sagesse de vieille femme »(ibid.).
D’avoir tout misé sur l’instinct de connaissance ne l’a pas moins induit à prendre son erreur pour la vérité universelle. Spinoza est à mettre au nombre de ces philosophes dogmatiques dont l’insistance maladroite et l’absence d’humour n’auront pu séduire la vérité-femme. En fait de parure ou pour la protéger, ces philosophes lui ont tissé des toiles d’araignée. Mais au terme, le solitaire finit par occuper lui-même le centre de sa toile, « araignée qui s’y est prise et ne doit se nourrir que de son propre sang.« [12]
Cette métaphore, Nietzsche l’a curieusement filée pour détourner le libre esprit du bonheur du mariage. L’araignée dont la toile est un piège à prendre les proies nécessaires à sa vie, peut se piéger elle-même et s’autodévorer. Si le philosophe est attaché aux choses par le fil du langage et le repère des habitudes, au moins doit-il toujours « se remettre avec douleur à déchirer la toile qui l’enserre, encore qu’il faille en conséquence souffrir de nombreuses blessures grandes et petites car ces fils, c’est à lui-même, à son corps, à son âme qu’il doit les arracher.« (Ibid.).
L’araignée animale vit du sang de ses victimes. Sa toile est un piège vivant. Mais le philosophe, lui, ne se repaît pas de sang. Il déteste le sang. Il ne fabrique sa toile de concepts qu’avec un cerveau malade, il place sur le monde une grande toile d’impératif et de finalité, « le grand filet de la causalité« , et il imagine que derrière cette toile Dieu est caché comme une espèce d’araignée[13].
Le philosophe est pris de cette sorte d’aliénation, d’aberration mentale qui le fait s’éprendre des idées, des concepts. Socrate avait inoculé à Platon cet étrange amour-là. Si les beaux corps peuvent nous inspirer une grande ferveur, quel ardent amour, les sciences et les idées n’éveilleront-elles pas en nous? Mais si ce commencement de décadence s’est produit en plein cœur de la Grèce, Platon n’était pas encore fou. Il partait des beaux corps justement et la philosophie était un discours entre amoureux. « Rien n’est moins grec que de faire, comme un solitaire, du « tissage de toiles d’araignée » avec des idées, amor intellectualis Dei, à la façon de Spinoza. Il faudrait plutôt définir la philosophie, telle que la pratiquait Platon comme une sorte de joute érotique« [14].
Il n’y a plus rien de vivant dans ces subtiles spéculations abstraites. Ce n’est plus qu’un fonctionnement d’automate, de machine à penser. Le jeu spéculatif se veut très sérieux. Il s’agit de mettre au point une obéissance inconditionnée, aveugle à l’impératif de la morale. Kant fut le grand maître de ce sérieux de la morale. Celui qui « passa et passe encore » pour Le philosophe allemand travailla mieux que personne à cet abêtissement machinal. Il commença à s’appliquer la recette à lui-même. »Il s’idiotisa« , il rendit idiots les Allemands et pour cette œuvre, Nietzsche le qualifie de « néfaste araignée« [15]
Ces philosophes ont fait de Dieu la notion la plus vide, la plus mince. »Messieurs les métaphysiciens, les albinos du concept. Ceux-là ont tant tramé à son entour, qu’hypnotisés par leurs mouvements, il (Dieu) en devint lui-même araignée, lui-même métaphysicien« [16]. Le Dieu chrétien est un dieu dont la notion est infectée. C’est un Dieu-araignée, un dieu dégénéré. La contradiction de la vie, l’hostilité à la vie faite Dieu. Dieu même a été rendu malade par ces cerveaux malades. Les philosophes ne sont que des faux prêtres masqués. Eux aussi veulent vider la vie de tout son sang, de tous ses instincts et la réduire à merci, l’enfermer dans une boîte crânienne. Ils ont le même appétit de maîtrise. Ils renoncent à toute jouissance pourvu qu’ils aient la loi. Ils réduisent la vie à un squelette de notions bien articulées, à un cliquetis d’os aux mouvements ordonnés.
Ce Dieu dégénéré agit alors comme un facteur de dégénérescence, imposant à l’humanité une véritable contre-nature. Et Nietzsche, décidé à « combattre l’universelle araignée« [17], dénonce le « faux-monnayage le plus pervers qui soit » et veut que le prêtre soit reconnu pour ce qu’il est « la plus dangereuse espèce de parasite, la véritable araignée venimeuse de la vie« [18].
Aussi faudra-t-il être attentif à ce signe minuscule livré par la première version de l’Eternel Retour c’est-à-dire celle que nous donne Nietzsche au plus près de sa révélation, à la fin du Gai Savoir (Livre IV) sous le titre « Le poids le plus lourd« . Quand Nietzsche énumère ce qui reviendra, « chaque douleur, chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement et tout ce qu’il y a d’indiciblement petit et grand dans ta vie (…) et le tout dans le même ordre et la même succession.« , il n’omettra pas « cette araignée-là également et ce clair de lune entre les arbres et cet instant et moi-même« [19] Les fragments posthumes de la même époque insistent encore sur ce retour de l’araignée. « Tout est revenu: le Sirius et l’araignée et tes pensées à cette heure et cette pensée, la tienne que tout est revenu« [20].
Décidément, l’araignée est la compagne du solitaire. Nietzsche ne savait pas cependant que le passe-temps favori de Spinoza était d’observer les araignées et de les faire se battre entre elles.
Mais, comme la pensée de l’Eternel Retour, l’araignée peut se refendre en symbole maléfique ou s’exalter en symbole bénéfique autour d’une ligne de partage où elle est rendue à sa fonction animale quand le tissage de sa toile lui est pur moyen de subsistance. « En fin de compte, nous ne faisons rien de plus avec la connaissance que ne fait l’araignée filant sa toile, chassant et suçant sa proie : elle veut vivre au moyen de son art et de cette activité et avoir sa satisfaction, et ceci nous le voulons aussi, lorsque notre connaissance saisit comme au vol des soleils, des atomes, les retient et les établit pour ainsi dire, nous ne faisons là que prendre un détour pour aboutir à nous-mêmes, à nos besoins, lesquels, à la longue, demeurant inassouvis et nous mettant en détresse dès la moindre perspective erronée, inhumaine et purement arbitraire . »[21]
Ramenée à cette humble tâche au service de la vie, l’araignée humaine tisse sa toile de mots pour se conserver vivante. Le philosophe sait que malgré les apparences, ce sont ses propres lois que l’homme projette dans le monde. Mais malheur à ce petit homme qui prétend édicter les lois du monde et malheur à la prétention de la tête philosophique qui veut une autonomie absolue et s’arrache de la souche organique. Malheur au philosophe qui veut avoir le dernier mot. La perversion philosophique est infiniment plus dangereuse que la prétention scientifique car elle est totalitaire.
Monique Broc-Lapeyre
Maître de conférences honoraire
Université Pierre Mendès France Grenoblemonique.broc@wanadoo.fr
[1] Nietzsche Briefwechsel III, 1, lettre 135, An Franz Overbeck in Basel, Sils Maria, juli 1881, W. de Gruyter, Berlin, 1981, p. 111.
[2] Ibidem.
[3] O.P.C., Écrits posthumes, 1870-1873, Éditions Gallimard, Paris, 1975, p. 286 ; G.W., III 2, Nachgelassene Schriften 1870-1873, W. de Gruyter, Berlin, 1973, p. 379.
[4]Ibidem.
[5] Ainsi parlait Zarathoustra, Livre II, Les érudits, G.F., Paris, 1996, p.172.
[6], O.P.C., Écrits posthumes, 1870-1873, tome 1, volume 2, Gallimard, 1975, p. 284G.
[7] Considérations Inactuelles, I, Aubier, I966, p. 343 ; G.W. III,1, p.309.
[8] O.P.C., Par delà le Bien et le Mal, Gallimard, 1971, p. 15 ; G.W., VI 2, Jenseits von Gut un Böse, Berlin, W.D.G., 1968, p. 14.
[9]idem, O.P.C, p.25.G.W.p.13.
[10]O.P.C, Par delà le Bien et le Mal,§25,p.44.
G.W.VI,2, Jenseits, W.de Gruyter, Berlin, p.38.
[11] id. O.P.C, §198, p.109.
G.W.§198,p.120.
[12]O.P.C, La Généalogie de la Morale, §9, p.303 ; G.W, Zur der Genealogie der Moral VI, 2, W. de G, Berlin, p.375.
[13]O.P.C, Humain, trop humain, Gallimard, tome I, 1968, §427, p. 235; G.W, IV, 2, W.de G, Berlin, 1967,6427, p.288.
[14]O.P.C, Le crépuscule des idoles, §23, p.122.
[15]Ibidem.
[16]O.P.C, La généalogie de la morale, p.124.
[17]Ibidem, p.194.
[18]Ibidem.
[19]O.P.C, Le gai savoir, Gallimard, 1967, p.220.
[20]Ibidem, Fragments inédits, 11 (312), p.412.
[21]Ibidem,.13(9),p.472.